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Négociations franco-comoriennes : « Mettre fin à 30 ans d’échec »

Le 20/09/2008

Pour MM. Leysenne et Soulaimana, ce troisième round de négociations a
Pour MM. Leysenne et Soulaimana, ce troisième round de négociations a 

Après deux jours de négociations à Mayotte, les membres des délégations française et comorienne ainsi que les élus mahorais sont parvenus à la signature d’un protocole d’accord dans le cadre du Groupe de travail de haut niveau (GTHN) franco-comorien, jeudi 18 septembre.

  

Mamoudzou accueillait les 17 et 18 septembre le troisième round des négociations du GTHN, après Paris en juin et Moroni en juillet. « Nous avons poursuivi les travaux engagés autour de deux thèmes principaux : la circulation des biens et des personnes, et la coopération économique », a indiqué Philippe Leysenne, ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien et chef de la délégation française, jeudi 18 septembre à la fin des travaux. Quatre chantiers sont d'ores et déjà actés par les trois parties : la réouverture d'une antenne consulaire française à Anjouan, qui remettra des visas et évitera ainsi aux Anjouanais désireux de se rendre à Mayotte de se déplacer à Moroni ; la concrétisation d'une action de formation professionnelle à l'initiative du vice-rectorat ; la mise en place d'échanges commerciaux, notamment au niveau agricole – qui demandera cependant une expérimentation et des assouplissements réglementaires de la part des autorités françaises ; et la signature d'un protocole d'accord sur les évacuations sanitaires des Comores indépendantes vers Mayotte. « Nous avons privilégié une démarche de gagnant-gagnant », a indiqué Mohamed Soulaimana, ambassadeur des Comores à Paris et chef de la délégation comorienne. « Toutes les îles de cet archipel doivent participer à un développement commun car nous sommes dans un cadre globalisé », a-t-il poursuivi. « L'avenir passe par de grands ensembles ». MM. Douchina, président du Conseil général de Mayotte, et Robin, préfet de Mayotte, ont également exprimé leur satisfaction.

La route reste cependant semée d'embûches d'ici à la signature d'un accord, programmée pour la fin de l'année. De nombreuses divergences subsistent, comme sur la question délicate de la circulation des personnes. Les deux parties semblent sur ce point à des années-lumière l'une de l'autre. Si pour M. Soulaimana, « l'optimum sera une libre circulation » entre les quatre îles, pour M. Douchina, cette optique est inenvisageable. « Deux principes forts nous guident », tempère M. Leysenne. « Le premier est de faciliter la circulation légale, le deuxième est de dissuader les flux illégaux ». Dans cette perspective, un assouplissement des règles d'obtention du visa et une baisse des prix des transports sont à l'étude. On est encore loin de « la libre-circulation » telle que pratiquée dans l'Union européenne prônée par l'ambassadeur comorien. « Il y a cinquante ans, qui aurait pu affirmer en Europe que les Français et les Allemands n'auraient plus de formalités à faire pour traverser leurs frontières ? Qui aurait cru au fait que le bloc de l'Est n'aurait plus de frontières avec le bloc de l'Ouest ? » a-t-il lancé à la fin des travaux, provoquant la moue d'Ahmed Attoumani Douchina.

 

Initié en septembre 2007 par les deux présidents français Nicolas Sarkozy et comorien Ahmed Abdallah Sambi lors de leur première rencontre à l'Elysée, le GTHN, qui intègre pour la première fois les élus mahorais, doit permettre d'aboutir à un accord bilatéral début 2009, que le président français viendra signer dans l'archipel. S'il n'est officiellement pas question côté comorien de remettre en cause l'appartenance de Mayotte à la France, il s'agit de renouer des liens basés sur le pragmatisme, a affirmé Philippe Leysenne. Avec une conception nouvelle semble-t-il partagée par les deux chefs d'Etat : « Regarder vers l'avenir et non plus vers le passé », comme l'a répété à plusieurs reprises Mohamed Soulaimana. « Après 30 ans d'échec, nous devons changer de manière de dialoguer. Nous devons arrêter de buter sur des histoires de drapeaux », a-t-il conclu.

Pourtant deux jours plus tôt, M. Douchina avait réclamé en guise de préalable aux négociations à la délégation comorienne la reconnaissance de « Mayotte française » (lire article), alors que la question de Mayotte est à nouveau à l'ordre du jour de l'Assemblée générale de l'ONU (lire ci-contre).

 

La question à l’ONU enlevée ?

Selon des membres de la délégation française présents à Mayotte dans le cadre du GTHN, la question de Mayotte inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée générale annuelle de l’ONU devrait être retirée dans les prochains jours. En 2007 déjà, la diplomatie comorienne l’avait retirée au dernier moment, avant que Ahmed Abdallah Sambi ne soit reçu à l’Élysée par Nicolas Sarkozy.

 

R.C. La Lettre de Malango

 

Dur, dur le ramadan

Le 20/09/2008

Il faut avoir le porte-monnaie bien garni avant de se rendre au marché
Il faut avoir le porte-monnaie bien garni avant de se rendre au marché 

Vie chère, rareté des produits pétroliers, délestages d’électricité, la piété des Comoriens est mise à dure épreuve cette année. Et pourtant, le ramadan, 3ème pilier de l’Islam, est suivi dans l’austérité et la dignité.

 

Mois de piété et de recueillement, le ramadan se distingue également dans les familles par de véritables festins à la coupure du jeûne. S’agissant de la nourriture spirituelle, les Comoriens sont très bien servis. Non seulement toutes les mosquées font le plein de fidèles pour le prêche chaque après-midi, mais ceux qui restent au foyer ne sont pas des laissés pour compte. En plus de la traditionnelle traduction du Coran du Grand Mufti retransmise en direct par la radio et la télévision nationale, le peuple a droit à une diffusion différée, à l’heure de la rupture, du “one man show quotidien” de Sambi, revêtu de ses habits de prédicateur religieux et entouré de son gouvernement et de quelques fidèles triés sur le volet.

 

Pendant ce temps, la nourriture du corps est devenue, elle, problématique. L’inflation des produits importés est venue gonfler les prix des denrées agricoles locales très prisées en cette période. « Il faut avoir le porte-monnaie bien garni avant de se rendre au marché de Volo-volo. Les prix du manioc, de la banane verte et des songes ont atteint des plafonds inimaginables », se plaint Riama, une mère de famille, qui peste également sur ses revenus insuffisants versés au compte-goutte et de façon irrégulière. Il faut ajouter le fait que les coupures de plus en plus longues de courant et la difficulté de s’approvisionner en carburant ont dérégulé le marché de la viande et du poisson puisque les vendeurs subissent des pertes.

 

Mohamed Riziki pointe du doigt la gouvernance du pays qui aggrave la crise au lieu de l’atténuer : « La mauvaise gestion des stocks et les dysfonctionnements dans la chaîne de distribution des hydrocarbures sont la principale cause de nos problèmes. Les files de voitures devant les stations-service entretiennent la méfiance des consommateurs et attisent l’appétit des spéculateurs. C’est donc l’incapacité de nos dirigeants à assumer le monopole qu’ils ont qui perturbe le marché », tempête cet économiste.

La popularité du Président Sambi est au plus bas. L’euphorie du retour de l’île d’Anjouan dans l’ensemble national est bien loin. Les difficultés de s’approvisionner à la pompe et la hausse de la course en taxi ont balayé la focalisation des citadins sur la réfection des routes bien que les travaux en cours offrent un nouveau visage à la capitale. Les avions privés et les discours des princes et des hommes d’affaires arabes ne suscitent plus de commentaires.
C’est un peuple abusé et désabusé qui continue à se plier aux injonctions du 3ème pilier de l’Islam dans l’austérité et la dignité.


Ce qui est contradictoire, c’est que personne n’arrive à mobiliser les gens pour manifester contre la détérioration du niveau de vie. Ibrahim, chauffeur dans un projet de développement, explique qu’ils en ont assez d’être utilisés. « Nous ne voulons pas que les dirigeants de l’ancien régime qui nous ont spoliés utilisent notre mécontentement dans leur opposition au gouvernement Sambi. Si c’est Maître Larifou ou Msaidié qui appellent à descendre dans la rue, nous ne nous déplacerons pas ».
Il est avéré en effet que l’avocat Said Larifou s’est retrouvé avec moins 50 personnes lors d’une marche contre la mauvaise gestion des affaires publiques il y a un mois.

 

Correspondant Témoignages
A. Mohamed

 

Le Blog Bangwenet s'engage

Le 15/09/2008

 

Le Blog Indépendant Bangwenet s'engage à vous informer continuellement sur la situation des Comores et des comoriens, ainsi que le quotidien de la région indo-océanique. Suivez l'actualité comorienne au jour le jour sur ce mini-site.

Pour ceux qui n'ont pas accès à Internet, ils sont nombreux malheureusement, faites des impressions pour eux ou les informés oralement tout pour qu'ils aient eux aussi accès à l'information.

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ENQUÊTE : Comoriens de Marseille ou… Marseillais des Comores ?

Le 15/09/2008

L’écrivain Salim Hatubou
L’écrivain Salim Hatubou 

Marseille cosmopolite, c’est connu. Mais sait-on qu’elle est la première ville comorienne devant Moroni.

L’écrivain Salim Hatubou nous parle des comportements différents entre la première et la deuxième génération et du traumatisme occasionné par l’assassinat du jeune Ibrahim Ali par des colleurs d’affiches du FN.

De tout le territoire français, Marseille, par son ancienne vie portuaire et son climat, devient un lieu privilégié d’une grande partie de la diaspora comorienne. Aujourd’hui, on évalue les Comoriens de Marseille à 50000 personnes (ce qui fait penser que Marseille est la première ville comorienne puisque Moroni, la capitale, compterait moins de personnes). Mais ce chiffre reste à confirmer dans la mesure où aucune étude officielle n’a jamais été réalisée.

L’histoire de cette communauté est vraisemblablement liée à celle de la diaspora comorienne. En effet, il semblerait que les premiers migrants soient des navigateurs ou des ouvriers qui se sont installés dans la ville phocéenne. D’abord célibataires, ces hommes feront venir leurs familles et continueront à vivre dans les petits appartements du centre-ville. À la construction massive des HLM, ils se déplaceront pour vivre dans les quartiers Nord (Plan-d’Aou, la Savine, la Solidarité…), où, au fur et à mesure du flux migratoire et des naissances, ils formeront une véritable communauté. Ce qui ne leur déplaît pas, bien au contraire.

Quand les Comores accèdent à l’indépendance en 1975, c’est tout naturellement que ces hommes et femmes gardent leur nationalité française, bien qu’ils se sentent avant tout comoriens. Malgré leur distinction vestimentaire (long boubou et bonnet blanc pour les hommes lors des fêtes religieuses et les prières communes, châles multicolores pour les femmes dans la vie quotidienne…), les Comoriens de Marseille formaient une communauté discrète, repliée sur elle-même. Il aura fallu la mort tragique du jeune Ibrahim Ali, assassiné par les colleurs d’affiches du Front national en février 1995, et les manifestations pacifiques qui ont suivi pour que les Marseillais et les médias locaux découvrent véritablement ces hommes et ces femmes.

Que ce soit à Marseille, Dunkerque, Paris, la Réunion, Madagascar… les ressortissants comoriens issus du même village ou région s’organisent en association loi 1901 dont les objectifs principaux restent toujours l’entraide ici (enterrement ou rapatriement de compatriotes décédés, aides juridiques…) et surtout le développement de là-bas : en effet, dans un archipel où les pouvoirs publics sont démissionnaires et où le taux du chômage bat tous les records, la diaspora comorienne est contrainte d’entretenir les familles restées dans l’archipel, financer la construction des routes, des dispensaires ou des écoles, l’électrification, la mise en place du réseau téléphonique, l’adduction d’eau… Bref, le développement de chaque région.

Ces associations réalisent leurs projets grâce aux cotisations des adhérents et les recettes de soirées dansantes organisées pratiquement tous les samedis à Marseille. Ainsi, les Comoriens de l’étranger en général et ceux de Marseille en particulier deviennent les premiers bailleurs de fonds de la République fédérale islamique des Comores. Avec des revenus mensuels parfois plus bas que le SMIC, les Comoriens veulent tout faire (cotisation, économie pour le mariage traditionnel là-bas, construction de la maison au pays…) et, très souvent, au détriment des enfants nés ou grandis à Marseille, qui ne comprennent pas forcément un tel comportement.

Et, comme la plupart des immigrés, une grande partie des Comoriens continuent à garder leurs " valises dans la tête ". La perspective de retourner aux Comores reste toujours d’actualité. Les uns ont franchi le pas, mais sont retournés à Marseille. D’autres reportent l’échéance et deviennent entre-temps grands-parents. Alors, ils regardent tous leurs compatriotes rentrer aux Comores dans un cercueil ou vont prier pour ceux qui reposent au cimetière de Saint-Pierre. Mais ils croient au mythe du retour et quand on essaie de les convaincre qu’ils sont chez eux ici, répondent : "A Zanzibar, on nous a dit ça, on nous a massacrés. A Madagascar, on nous a dit la même chose, on nous a massacrés. Ce qui s’est produit ailleurs peut très bien se produire ici ! Et puis regarde le Kosovo…"

Mais tout cela appartient à la première génération. La seconde, elle, se sent plus française avant d’être comorienne (peut-être même plus marseillaise que française). Les uns connaissent l’archipel des Comores par les médias (à cause des aventures du mercenaire Bob Denard) et parce que les parents en parlent sans cesse, les autres parce qu’ils y ont passé les vacances, s’empresseront-ils d’ajouter.

Marseille reste leur terre natale ou d’enfance (pour ceux qui y sont venus très jeunes) et revendiquent leur " marseillisité ". Quand on fait allusion à une installation définitive aux Comores, trois groupes se distinguent. D’abord, ceux qui pensent que cet archipel est juste le pays des parents, même s’ils ne renient pas leurs racines. Rien de plus. D’ailleurs, ils ne comprennent pas toujours qu’on leur pose la question. " Pourquoi ne demande-t-on jamais à un Marseillais de parents italiens s’il compte s’en aller vivre en Italie. C’est comme l’intégration, je suis français et je n’ai pas à m’intégrer. Nous sommes intégrés le jour de notre naissance !" martèle le jeune Saïd. Ensuite, ceux qui veulent partir pour les Comores pour contribuer au changement, mais les derniers événements politiques (la balkanisation de l’archipel, le dernier coup d’État…) les découragent et ils ne veulent pas croire qu’une partie de ceux qui nuisent aux Comores aujourd’hui sont les partisans du slogan " Retourner pour changer " à Marseille et à l’étranger dans les années soixante, soixante-dix et quatre-vingt.

Enfin, les jeunes qui voudraient être ici et là-bas sans savoir comment faire. Mais tous ces jeunes, aujourd’hui, sont d’accord pour ne pas subir ce que leurs parents ont subi (exploitation dans le travail, refus non fondés de certains organismes HLM à octroyer des appartements aux Comoriens…). Ils se considèrent comme citoyens français, sans aucune ambiguïté. Ils s’inscrivent massivement sur les listes électorales et militent activement contre le racisme. Ils remettent également en cause les traditions lourdes et l’autarcie de la première génération. Mais ce nouveau discours dérange d’ores et déjà une partie de la communauté comorienne qui, pour avoir la paix, veut continuer à vivre silencieusement et entre soi.

À Marseille, bien qu’on ne le dise pas assez, ces jeunes gens d’origine comorienne commencent à s’illustrer dans plusieurs domaines : sport, littérature, dessin, musique… et, contrairement au " socialement correct " de certains Comoriens, la délinquance touche aussi cette jeunesse, mais apparemment le silence reste à l’ordre du jour.

Mais qu’ils soient artistes, sportifs, chômeurs, mauvais garçons… ils considèrent tous que leurs parents ont été jusqu’ici un enjeu électoral. Voilà pourquoi ils s’imposent comme interlocuteurs pour l’intérêt collectif. Et quand les politiciens ouvriront les yeux sur cette réalité, alors les choses auront changé. Pour les uns et les autres.

                                                                     Salim HATUBOU

Écrivain d’origine comorienne, grandi à la Solidarité, quartier Nord de Marseille. A publié entre autres le Sang de l’obéissance (roman sur les traditions comoriennes) et l’Odeur du béton (roman sur Marseille) aux éditions L’Harmattan.

 

La gouvernance indifférente

Le 15/09/2008

ISMAEL Ibouroi
ISMAEL Ibouroi 

Comme stipule la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, affirmant solennellement la Liberté d’Opinion, que toute personne est libre de penser comme elle l’entend ou d’affirmer des opinions contraires à celle de la majorité ou de les exprimer librement ses idées par tous les moyens qu’il juge appropriés. Cependant, cette liberté implique également le respect d’autrui.

Nous vous proposons ci-après une contribution de M. Ismael Ibouroi.

Depuis trois mois maintenant, une crise sans précédent dans les annales des Comores post-indépendantes s’est abattue comme la foudre sur notre population, avec la dureté et le cortège de mensonges, de récriminations et souvent de résignation qui caractérisent les sociétés désarmées face à l’histoire. Cette crise dont l’ampleur mondiale est facilement repérable par la hausse des prix du carburant et des denrées alimentaires dont les effets sont dévastateurs pour les économies, mortels pour les pays vulnérables comme le nôtre, dont la survie entièrement dépendante de l’extérieur n’ont aucune marge pour exister. Il y a sur ce dur constat un consensus quasi général qui ne doit pas nous exonérer de nos responsabilités.

Mais mon interrogation voudrait porter ailleurs. Il s’agit précisément de se demander si les autorités de notre pays ont prévu cette crise et ont tenté quelque part de l’anticiper en se donnant les moyens d’éviter ce qu’il faut nommer une gifle et une désillusion ? Ou bien se sont elles comme d’habitude endormies sur leurs sémi-certitudes et se sont faites surprendre comme un petit garçon commettant son premier larcin ? La réponse à ces deux questions permettra de déterminer le niveau et le degré de leur responsabilité.

On peut supposer la réponse en voyant le mutisme total et embarrassé adopté par ces autorités qui, s’étant laissées aller depuis un certain temps, à un discours lénifiant, incantatoire et populiste, elles s’en sont fait surprendre par le mauvais temps et, du coup elles n’ont plus aucun discours réaliste alternatif, capable d’expliquer, d’orienter et de donner à espérer à un léger mieux dans un délai raisonnable. Pour preuve de cette imprévoyance incroyable, c’est l’accumulation des crises internes : enseignement, santé, des impayés de salaire qui atteignent plus de sept mois rappelant les mauvais souvenirs des années de plomb, appauvrissement et marginalisation de la paysannerie à cause de la division par dix des prix de la vanille et du girofle. Mais surtout le coup de force de la loi sur les nationalités que l’assemblée fédérale ayant compris l’enjeu historique et culturel a rejetée. On n’oubliera pas le cœur de la crise, les conséquences en cascade nées de la pénurie inexplicable et impardonnable du carburant qui a précipité la descente en enfer de la population. Je pense notamment aux petits entrepreneurs : menuisiers, soudeurs, restaurateurs, boulangers, médecins, étudiants et cybernautes… tous ces centaines de milliers d’actifs qui ont besoin de l’électricité pour faire vivre la société comorienne ne peuvent se résigner à ce recul, cet inadmissible retour en arrière au temps de la lampe à huile et des contes tard la nuit sous la lune. On a l’impression que face à cette crise brutale qui a mis le pays à genoux, le gouvernement a abandonné son peuple. Y a-t-il encore un pilote dans l’avion ?

Une crise aux conséquences redoutables

Il y a donc une grosse panne de la machine politique. J’entends mes amis intellectuels dire : "non, la crise n’a pas commencé, elle est devant nous. L’histoire avance toujours du mauvais côté, réveillant la vieille dialectique qui travaille souterrainement les conflits de la société …’’
Mais quelles sont du point de vue comorien les causes profondes de cette cascade de crises qui affectent profondément notre société et qui permettent de douter sérieusement de l’aptitude à gouverner donc à les surmonter On peut être sûr d’une chose : nous sommes durablement installés dans une crise économique aux conséquences redoutables.
Je voudrais proposer ici trois explications à l’enchevêtrement de ces crises.

Premier constat. La crise est une donnée permanente des sociétés humaines et plus particulièrement les sociétés modernes si complexes qu’aucun groupe ni une philosophie de l’histoire ne peut prétendre dominer et maîtriser entièrement. La force d’un groupe ou d’un gouvernement réside dans la capacité à prévoir les crises, à les expliquer rationnellement afin que les hommes ne tombent dans le violence ou la magie. Or, il apparaît que cette vertu aujourd’hui fait cruellement défaut. Elle nous fait courir à notre corps défendant, plusieurs risques parmi lesquels : le retour du fatalisme, les habitudes du court terme, de la vie menée vaille que vaille au jour le jour, et le repli dans la proximité communautariste et villageoise. Elle amplifie les contradictions dans lesquelles notre société se débat depuis très longtemps entre des aspirations au bien être et à la liberté que façonnent chaque jour la télévision et le courant souterrain de la mondialisation libérale et des moyens financiers qui s’amenuisent dramatiquement. Nos enfants, produits formatés par les chaînes câblées, incapables de vivre dans cette vie chaque jour frustrée, n’auront de choix qu’entre le schizophrénie ou la révolte contre le père.
Deuxième constat .Le départ utopique, quasi messianique du gouvernement actuel qui a fait croire qu’il pouvait faire table rase et recommencer l’histoire des Comores, et qu’avec le cœur sur la main et de bonnes intentions, il pouvait attirer vers notre pays tous les riches du monde, les rois ,les princes et les sultans et même les sans patrie pour offrir hospitalité moyennant quelques dollars et ainsi en quelques années, ces milliards investis dans notre économie combleraient son retard par rapport à la région .Toute cette rhétorique a séduit, désarmé les esprits les plus critiques et beaucoup s’en sont laissés conter. Ce petit rêve a atteint aujourd’hui ses limites, il s’est transformé en cauchemar. Mais peut-on construire un développement avec des idées aussi simplistes et des interlocuteurs aussi incertains et peu fiables ? Ce modèle de développement fondé sur les bonnes intentions mais en réalité dangereux parce qu’entièrement extraverti et désarme les forces vives du pays n’a aucun exemple nulle part dans l’histoire.


Effondrement de la République

Le monde international avec ses règles, sa complexité et ses incertitudes a-t-il bénéficié de notre part de l’approche qu’il convenait en ces temps d’instabilité et où le monde arabo-musulman a le dos au mur incapable de faire de la manne du pétrole un instrument de paix et de prospérité durable et juste ? Il est certain que nous payons aujourd’hui le prix fort d’une erreur d’appréciation très grave des rapports de force qui fondent les relations internationales.

Mais il reste un dernier constat en forme d’interrogations .Que faisons nous collectivement face à cette crise ? Avons-nous les moyens internes et propres pour la surmonter ? Sinon quels en sont les obstacles. A quel niveau et où se situe la véritable responsabilité ?
On peut fixer un premier repère pour l’analyse.
-1998 : irruption d’un second front à Anjouan du séparatisme, surgi à Mayotte en 75 simultanément avec la déclaration unilatérale de l’indépendance. Effondrement de la république.
- Mort brutale et mystérieuse du président Taki
-99 : échec de la conférence inter îles initiée par l’OUA à Antanarivo en Avril. Coup d’Etat militaire. Renvoi de l’ensemble des problèmes comoriens à la décision de la communauté internationale, transformant ainsi nos îles en laboratoire d’une union africaine à la recherche de son identité dans le monde, et d’un second souffle après la défunte OUA.
- Effondrement des partis politiques qui ont longtemps occupé la scène nationale.
La conséquence des ces événements est la mise en place d’une constitution de compromis qui valorise l’insularité par un jeu de tournante présidentielle au niveau de l’union et qui a neutralisé l’activité des partis politiques pluralistes pourtant une des conditions de la vie de la démocratie. En plus, cette constitution ambitieuse et complexe implique une condition préalable pour son application. La conversion des mentalités et du caractère des hommes politiques souvent égoïstes, sectaires, avec un très fort penchant à une gestion patrimoniale de l’Etat et surtout le manque d’une approche du compromis et de modestie dans le règlement des affaires de l’Etat. La génération à la tête des instances de l’union et des îles n’a pas cet état d’esprit et cette culture politique. Elle est restée fortement marquée par la gestion autoritaire de l’Etat à l’époque de Papa et des oncles.
Au centre de la vie politique comorienne se trouve un grand vide, un trou noir qu’il faut éclairer et combler. Tous ceux qui ont tenté de s’en approcher s’en sont brûlés ou carrément noyés, en tombant dans l’abîme, y compris le gouvernement actuel qui avance à reculons, le dos au mur, épuisé.
Si j’appelle de tous mes vœux l’avènement d’un nouveau leadership politique par l’émergence d’une nouvelle élite organisée dans des partis politiques, c’est que je crains que des solutions à la crise, portées par des individus que seuls unissent les intérêts du moment, ne soient que des feux de paille et fassent à la longue plus de mal que de bien.

A la croisée des chemins

Les Comores se trouvent donc à la croisée des chemins. L’effondrement simultané des partis politiques et de l’Etat démocratique et républicain impose à notre génération l’exigence impérative de repenser les bases du renouveau politique et culturel. Pour ce faire un profond et long travail d’autocritique interne
Les Comores ont expérimenté toutes les formes d’organisation du débat collectif : table ronde, conférence nationale consultative, conférence nationale souveraine et exécutoire certaines à l’intérieur et d’autres à l’extérieur .Mais au lieu de faire le salutaire travail d’évaluation et d’autocritique interne de nos erreurs passées, c’est l’usage de la même rhétorique et la complication des intérêts immédiats qui a prévalu, masquant les enjeux et détournant les objectifs de ces forums vers le débat exclusif autour du partage du pouvoir.

De même nous avons vécu au cours de ces trente dernières années trois grandes tentations autoritaires du pouvoir : La tentation révolutionnaire, la tentation mercenaire et la tentation militaire. Aujourd’hui, la tentation religieuse et fondamentaliste semble être celle qui séduit le plus les comoriens, sans doute la plus pernicieuse et la plus compromettante. Ces tentations, au-delà de la succession chronologique, ne doivent créer l’illusion que nous nous en sommes délivrés les unes après les autres et que maintenant, nous sommes engagés vers un vrai régime démocratique pluraliste de respect des droits de l’homme et de justice sociale .En vérité, ces tentations continuent à travailler de manière invisible notre société. Ces vieux démons sont toujours là. La vigilance intellectuelle et politique est un devoir.

Il reste ce qui est devenu pour les Comores une véritable obsession : l’idée aujourd’hui reprise par une élite pressée selon laquelle si notre pays va mal c’est à cause de la constitution comme si ce texte accouché au terme de trois jours de débats laborieux à Mohéli, sous l’œil goguenard de la communauté internationale, notamment dans son innovation majeure, la tournante et l’autonomie élargie des îles, a été une seule fois, sérieusement lu ou appliqué dans la bonne volonté.
Faut-il rappeler que les Comores depuis 1975 ont procédé à plus d’une dizaine de révisions constitutionnelles et qu’au lendemain les mêmes difficultés et blocages réapparaissent de façon récurrente ? D’une certaine façon le discours qui consiste à faire porter sur les textes les causes de nos crises successives ressemble à un déni de responsabilité, à une fuite en avant qu’à un véritable diagnostic. D’ailleurs cela est dans la logique profonde des sociétés à forte tradition orale où se développe une allergie collective à la lettre écrite, soumise à un procès constant, accusée de tous les maux, considérée comme un pharmakon, un poison ainsi que l’a montré fortement le philosophe Jacques Derrida .

La stratégie de la dénégation

C’est pourquoi envisager dans le contexte actuel une révision constitutionnelle comme réponse à la crise est un alibi de l’impuissance des gouvernants, l’aveu silencieux d’un épuisement de l’énergie politique qui vient face à l’ampleur de la crise d’atteindre ses limites. Pour l’élite, héraut et thuriféraire du régime, une nouvelle trahison de clercs. Finies les messes et les éternels palabres. Il appartient au gouvernement et à lui seul, de se réveiller de son sommeil dogmatique, d’opérer le sursaut nécessaire en trouvant dans le cadre de son mandat et de ses immenses pouvoirs, les solutions que le peuple comorien est en droit d’attendre pour sortir de la tourmente qui l’accable quotidiennement .

Cette analyse qui peut sembler parfois sévère et partisane n’est pas en réalité orientée contre personnes ou des groupes constitués. Son auteur reconnaît volontiers les efforts et les réalisations faits, chaque génération comme le note Fanon : « chaque génération doit dans une relative opacité doit découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ».
Dans son intention réelle, cette analyse se veut une tentative d’introspection dans le but d’atteindre le niveau humain où se dire la vérité deviendra possible, au lieu de continuer à perpétuer la stratégie de la dénégation, à se voiler la face ou comme dirait l’autre à se raconter des histoires. Pour preuve les deux grosses affaires politiques de ces trente dernières années : l’affaire Bob Denard et celle récente de Mohamed Bacar . J’ai la conviction que ces deux affaires ont été soigneusement évitées parce que leur mise en scène publique devant nos tribunaux, dans le cadre d’un procès, aurait permis de révéler des pans entiers de notre histoire que nous préférons occulter parce que insupportables et compromettants pour certains d’entre nous. Or, cela aurait été l’occasion d’une véritable épreuve collective de vérité salutaire , une cure historique qui nous aurait permis une fois pour toute de nous débarrasser des vieux démons tapis au plus profond de chacun de nous. La production de connaissance qui aurait été faite au cours de ces deux grands procès aurait permis à notre peuple d’atteindre le seuil d’irréversibilité, à l’origine de tout progrès social.

Les bases du renouveau politique et culturel sont minées du fait que l’étape de l’indépendance n’a pas pu jeter les bases d’une véritable libération nationale, d’un consensus de générations. Au contraire, incapables de tirer les leçons de l’histoire de l’Afrique post indépendante, les personnes qui se sont succédées au pouvoir, ont fait fi des fondamentaux de l’action politique : la vision historique, la dynamique des équipes partageant les mêmes convictions, les groupes ou les classes que l’on peut prétendre incarner. Le reste vient après : la passion, le charisme, le courage, le dévouement pour le bien commun etc.. autant de facteurs subjectifs et psychologiques nécessaires mais pas suffisants. Aujourd’hui tout est sens dessus dessous, totalement inversé.
Pourtant, il me semble que les signes du renouveau sont en train de se dessiner dans les catégories les plus prometteuses de la population : la jeunesse et les femmes.
Je dis la jeunesse non seulement par son idéalisme et sa révolte pour une société désenchantée et épuisée mais aussi parce que à travers l’université cette jeunesse est en train d’amasser un savoir nouveau, de la réflexion critique directe et d’imprimer à la société des désirs, un style de vie qui vont changer radicalement le paysage comorien et sans doute et ses vieilles valeurs culturelles.

Le réveil de l’énergie féminine, une grande espérance souterraine

L’émergence de cet espace public où nos problèmes dans leur actualité immédiate et brûlante vont être soumis à la libre discussion, loin du prisme déformant et nostalgique de leurs aînés étudiants, il y a de cela plusieurs années en France, renforce ici et maintenant le potentiel de changement et pas seulement une utopie, un rêve volé. Il faut rappeler qu’aucune société moderne ne peut initier un changement politique et social durable sans la présence d’une université sur son sol et d’une masse d’étudiants critiques, exigeants.
Je dis aussi les femmes. Non pas pour la mode intellectuelle qui les instrumentalise dans les combats politiques mais pour des raisons profondes liées à mon expérience personnelle. J’ai souvent remarqué qu’une grande majorité de femmes suit très attentivement la scolarisation des enfants dabs leur école et à la maison. En plus ce sont des jeunes qui réussissent le plus aux examens et obtiennent les meilleures notes dans les classes. Ce souci de l’avenir est tellement présent dans leur quotidien qu’il semble leur condition humaine. Il suffit d’observer attentivement la volonté et la dynamique qui se déploient dans le monde économique, celui du commerce pour s’en convaincre. Il y a dans ce réveil de l’énergie féminine une grande espérance souterraine qui traverse silencieusement notre société qui contraste avec le discours hégémonique ambiant, misogyne, sexiste que nos gouvernants relaient en continuant à les exclure de la représentation politique. Le refus des guerres et des génocides qui ont fait la constante du 20e siècle ouvre ce qu’on peut appeler le nouveau monde des femmes, monde fait des valeurs de non violence, de disponibilité et d’attention, valeurs qui peuvent contribuer à fonder ce que Levinas appelle un ‘’humanisme de l’autre homme’’ et qui colle parfaitement avec ce que nous recherchons, pour construire nos sociétés complexes et post modernes. La littérature et les arts comoriens qui connaissent aujourd’hui une grande effervescence par une créativité protéiforme participent à cet élan de renouveau, en labourant sans concession notre culture, favorisant ainsi les libertés individuelles, même si dans ce labourage, les artistes ne nous laissent que des terres brûlées où rien encore ne pousse.

En définitive, c’est dire que cette crise va durer très longtemps, parce que c’est une crise du politique, crise de leadership, celle qui porte sur le renouvellement des hommes. La grande période 70-75 est dans notre histoire contemporaine, le repère le plus fécond pour entamer cette réflexion afin de chercher les moyens de combler ce vide, ce trou noir au centre de notre vie politique et qui risque jusque là d’en avaler beaucoup.
Je n’ose pas parler de renaissance africaine. Pourquoi pas, alors que les Comores se trouvent à un tournant où s’articulent plusieurs axes géographiques, plusieurs cultures et des langues importantes que nous parlons, qu’il nous faut parler et surtout un peuple doué d’un esprit d’ouverture et de facultés à s’adapter qui nous sont propres et qui font de ce génie culturel un vrai atout d’avenir. De Gaulle, en connaisseur du rôle de la géographie dans l’élaboration des politiques, ne disait-il pas à Moroni en 59 :’’Vous êtes ici à un point essentiel de l’histoire du monde’’, ceci pour le rappeler à ceux désespérés qui croient que ce pays est à vendre, alors qu’il est à bâtir, à lui donner un autre visage que celui courroucé, brouillé de l’éternel malade de l’océan indien. Réveiller la pulsion créatrice initiale qui fait des îles des lieux de vie heureuse, des laboratoires d’innovation, tel est le défi mortel de notre génération.




                    ISMAEL IBOUROI, enseignant et auteur de l‘œuvre : « voleur de rêves».

 

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