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La forêt qui cache la corruption
Le 01/01/2012
Idi Nadhoim et Bashar Kiwan |
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Soeuf Elbadawi, le démon de l'archipel des Comores
Le 28/12/2011
Soeuf Elbadawi au Centre de lecture de l`EPP Mitsoudjé |
Par Tirthankar Chanda
Jeune Afrique
Dramaturge, essayiste, le Comorien Soeuf Elbadawi a plus d’une corde à son arc… et ses flèches visent aussi bien la classe politique de son pays natal que l’ancienne puissance coloniale.
Happening théâtral en plein Moroni (Comores), ce 13 mars 2009. Maquillé en blanc, mains ligotées, Soeuf Elbadawi est traîné sur la voie publique par ses collègues artistes et acteurs. Sous l’œil goguenard d’un large public qui hurle, siffle et conspue le comédien… Manifestation traditionnelle des Comores, le gungu met en scène l’humiliation d’une personne accusée de menacer la communauté nationale. Ce jour-là, l’accusé n’était autre que… l’État français. Les Comoriens reprochaient alors à la France, incarnée par le comédien grimé, d’avoir divisé leur pays de facto en décidant de ne pas se retirer de Mayotte lors de l’indépendance de l’archipel, en 1975. Une fois son rattachement à l’ancienne puissance coloniale entériné par des référendums d’autodétermination, Mayotte est même devenue le 101e département français. Un statut qui est au cœur de nombreuses contestations dans les autres îles. Le gungu du 13 mars n’en était qu’une manifestation supplémentaire…
Celui qui en a eu l’idée est l’un des intellectuels comoriens les plus en vue. Comédien, mais aussi journaliste, homme de théâtre, romancier, essayiste, Soeuf Elbadawi pratique une littérature citoyenne, n’hésitant pas à mettre son œuvre pluridisciplinaire au service de causes politiques et sociales qui lui tiennent à cœur. Même s’il doit en payer le prix, comme ce fut le cas en 2009 lorsque, à la suite du gungu, l’Alliance française de Moroni déprogramma la pièce qu’il devait y monter…
L’homme se définit comme un « agitateur culturel ». Il se sert de la littérature pour interpeller le pouvoir et faire bouger les lignes. « À quoi servirait un artiste dans cet archipel, aime-t-il répéter, s’il ne faisait que parler du sel de la mer ? » C’est surtout en tant que dramaturge qu’il exprime ses idées et ses critiques vis-à-vis d’une société comorienne affublée d’une classe politique sans envergure et sans ambition. Son théâtre, il a fallu l’inventer, car il n’y avait pas vraiment de tradition dramatique aux Comores. Forme d’expression apparue depuis moins d’un siècle, le genre n’existait que grâce à des comédiens amateurs. Soeuf Elbadawi fait partie de ceux qui, à la fin des années 1980, ont relancé et professionnalisé la scène comorienne.
« J’ai tout appris d’un expatrié français qui travaillait pour Air France à Moroni, explique Elbadawi. Un ancien de la rue Blanche à Paris, Michel Charles, est venu nous voir à la fin d’un spectacle de Labiche. Il nous a demandé pourquoi nous avions choisi d’interpréter Labiche plutôt qu’une pièce en phase avec le public comorien. “Vous jouez pour à peine 1 % de la population, alors que vous avez à votre disposition un riche répertoire de pièces africaines avec lesquelles vous pouvez toucher l’ensemble de la population”, nous a-t-il lancé. » Cette apostrophe a été à l’origine d’une collaboration féconde entre l’agent d’Air France et l’acteur. Ensemble, ils ont fondé la compagnie Les Enfants du théâtre, qui rencontra son premier succès avec un texte de l’écrivain béninois Jean Pliya, La Secrétaire particulière.
L’expérience s’interrompt en 1992, lorsque Soeuf Elbadawi part pour la France dans le cadre de ses études. Le jeune homme n’a que 22 ans. Il voulait être écrivain mais étouffait dans son pays, coincé entre les expatriés et les siens. « J’étais tout le temps fourré à l’Alliance française de Moroni. Je ne fréquentais que les expatriés, les coopérants. À tel point qu’en ville on m’appelait “le petit Blanc”. Et puis un jour, j’ai tout envoyé valdinguer… »
L’expérience française ne sera guère plus satisfaisante, même si les quatorze années qu’il passe à Paris, d’abord comme étudiant puis comme journaliste à RFI, sont riches en découvertes, créations littéraires et compagnonnages. Il publie ses premières fictions, participe à la revue Africultures. Avec l’écrivain malgache Jean-Luc Raharimanana, il est à l’initiative du recueil Dernières Nouvelles de la Françafrique, qui explore à travers la fiction les relations sombres et turbulentes qui lient le continent à la France des magouilles et des barbouzes.
En 2006, rattrapé par « le démon de l’archipel des lunes », Soeuf Elbadawi revient s’installer à Moroni, sa ville natale. Il renoue avec le théâtre et crée sa compagnie, O Mcezo* (jeu, plaisir et représentation, en langue comorienne). « J’ai quitté Paris parce que je voulais m’inventer une existence dans mon pays natal. En tant qu’écrivain, j’étais taraudé par la question de savoir d’où je parlais. La réponse est venue de Glissant, qui n’a cessé de dire que le lieu était incontournable. Autrement dit, si ma mère ne comprend pas ce que j’écris, il y a un souci ! »
Décédée il y a deux ans, celle-ci aurait sans doute apprécié Moroni Blues, la dernière création théâtrale de son rejeton, l’une des principales révélations de l’édition 2011 des Francophonies de Limoges. Voguant entre musique et poésie, la pièce chante les heurs et malheurs d’une cité ancienne et cosmopolite tiraillée entre l’ici et l’ailleurs, les legs du passé et l’avenir. Le destin du « peuple des lunes » est au cœur de la nouvelle pièce de Soeuf Elbadawi, présentée à Paris en janvier : Un dhikri pour nos morts, consacrée aux milliers de Comoriens qui ont trouvé la mort en traversant sur des embarcations de fortune le bras de mer qui sépare les trois îles comoriennes de la Mayotte française.
Apocalypse Mayotte
Le 28/12/2011
Claude Askolovitch, envoyé spécial à Mayotte
Le Point.fr
Explosif. Le 101e département français sombre dans le chaos. Reportage.
Au dernier jour des barrages, les syndicats ont mobilisé le Coran ; dans le sud de Mayotte, des Fundis venus des villages, les vieux sachants de l'islam vêtus de tuniques blanches, mènent des prières au carrefour de Bandrélé ; une foule de femmes en pagne, au visage maquillé de bois de santal, des jeunes au genre rappeur mais coiffés de la coufia, la toque des jours de fête. Et, surveillant le tout, l'élite syndicale qui bloque l'île depuis six semaines. Nous sommes le 6 novembre, la grève contre la vie chère touche à sa fin."Pas facile de mobiliser quand le salariat n'existe pas, constate Kaffar Djamiloudine, numéro deux de la CGT.La vie chère, tout le monde comprend. Si on avait demandé une hausse des salaires, avec 38 000 salariés sur 200 000 habitants, ça ne concernait personne."
Kaffar, chemise blanche de rocker, est un instituteur formé sur le tas ; 1 300 euros par mois."Avec ça, je suis un nanti !" Son épouse est secrétaire au conseil général : "Elles sont 40 comme elle à ne rien faire ; elle a été prise dans le sillage d'un politique. C'est le système." Kaffar a été formé par la CGT à Montreuil, roublard et marxiste à la fois. Et les prières ?"Sans elles, on n'a pas les mammas. On montre notre respect des traditions ; ça rappelle aux vieux les prières pour le rattachement à la France, il y a quarante ans." Les Fundis se sont tus. Boinali Said, leader CFDT, harangue en langue shimaoré. Il paraphrase Mirabeau. "Le peuple mahorais ne se séparera pas sans avoir d'avoir rendu la République plus juste !"
Ainsi lutte-t-on à Mayotte, le 101e département, entre sourates et slogans."Pour nous comprendre, abandonne les idées reçues", plaide le sénateur Thani Mohamed, avocat de 39 ans. Donc, contempler une apocalypse sans préjugés. Voilà une île, Mayotte-Mahoré, qui a voulu rester française contre la décolonisation, aujourd'hui un département ruiné dès sa naissance ; le conseil général ne paie plus ses factures, plombé par un clientélisme de survie et ses 3 000 employés ; l'économie est trustée par des Européens, le tourisme squelettique, quand l'île est une merveille ; le français est une langue étrangère, ignoré dans les familles, appréhendé à l'école, plutôt mal que bien. Ici, l'Etat chasse l'immigré venu des Comores ; on le traque, on l'embarque par paquets dans des camions grillagés ; parfois, la justice condamne l'Etat qui a expulsé un Français par erreur. La grève n'aura été qu'un chaos de plus.
Ici naissent 8 000 enfants par an, quatre fois plus que dans la Nièvre, de population comparable."Le rythme des constructions scolaires ne pourra jamais suivre le rythme de l'utérus des Mahoraises", aurait lancé le vice-recteur pour justifier le manque de classes. La phrase est devenue la preuve du mépris métropolitain, une injustice au surplus : "Comment peut-on accuser les Mahoraises ? Ce sont les Comoriennes qui ignorent la contraception", s'indigne Faouzia Cordjee, référence du féminisme local. Qu'importe : Mayotte se surpeuple. On peut accoucher dans un lit d'hôpital que l'on quitte après 24 heures, faute de place ; ou dans la voiture des pompiers, que les femmes appellent au dernier moment, par peur : on expulse aussi les femmes enceintes. On peut accoucher dans un bidonville, sur le sol en terre battue d'une case... L'île-hippocampe, verte et chaude, est un enfer social. Mamoudzou, la capitale, est un embouteillage égayé de publicités pour portables. Les radios invitent les habitants à remplir leur déclaration de ressources pour obtenir des allocations. Des gangs apparaissent. Pourtant, Mayotte attire, îlot français dans un archipel miséreux vers lequel convergent des Comoriens sur des barques surchargées.
Roukia, 17 ans, a un rêve : récupérer ses carnets de notes de l'an dernier, quand elle était bonne élève en quatrième. Ses parents, renvoyés à Anjouan, aux Comores, n'ont pas pu recevoir le bulletin. Elle reste dans sa maison de tôle, dans le quartier de Majicavo-Koropa, près de Mamoudzou, avec huit frères et soeurs, et une grand-mère qui ploie la journée dans les campagnes, à cueillir des légumes qu'elle revendra. Roukia a un autre rêve : que ses parents reviennent. Ils risquent la noyade en essayant. En allant au collège, elle s'inquiète de son contrôle de SVT. Et elle a faim. Ça pourrait être pire. Depuis le début de la grève, les gendarmes ne descendent plus dans son bidonville. Sa tante ne dort plus dans les champs, sa cachette des temps ordinaires. Dans un autre bidonville, on rencontre Nadjma, autre Anjouanaise de 17 ans, et deux enfants déjà, le premier d'un viol à 12 ans. Elle était en CM2 et n'est jamais retournée à l'école. Presque une routine.
Parias. Ils sont 6 000 mineurs isolés, estimation courante, dans une île de 200 000 habitants. Six mille enfants dont les parents ont été expulsés, laissant leur progéniture en France. Ce sont les enfants de la lutte contre l'immigration. Seule une association, Tama, s'occupe de leur sort. Ils sont souvent nés à Mayotte, donc en France, seront français s'ils ne s'empêtrent pas dans leurs dossiers, conservés précieusement dans des chemises en plastique - certificat de naissance, bulletins scolaires... Mais, en attendant, des parias. Les sans-papiers forment un tiers apeuré de la population. On voit parfois, sur le toit d'une habitation mahoraise, une cabane de fortune : celle du clandestin. Il est une coutume appelée moussada, l'entraide : je t'aide à construire ta maison, tu me nourris. Le moussada a bon dos, pour faire suer le Comorien. Il construit la maison du Mahorais, cultive son champ, n'est pas payé ; dénoncé parfois. Jadis, Mahorais et Comoriens formaient un peuple de cousins. Ce passé se purge dans le mépris."Elle a détourné des hommes", dit une éducatrice mahoraise, quand elle découvre une gamine de 13 ans, enceinte, prostituée dans un bidonville. D'autres interpellent des gendarmes qui embarquent les clandestins : "Ne laissez pas les femmes, elles vont voler nos maris !"
"Cette chasse aux immigrés empoisonne l'île de sa violence" , dit Me Thani . Quand la grève a commencé, en septembre, la violence s'est échappée. Les Mahorais ont découvert que les gendarmes pouvaient brutaliser des citoyens français. Un enfant de 9 ans, Nassuir Oili, est devenu borgne : un gendarme lui a tiré dessus au Flashball. Un homme est mort dans une manifestation. Des magasins ont été pillés, des Métropolitains molestés. Sous le département, la colonie n'a jamais disparu.
Ce n'était pas écrit, pourtant, quand Mayotte était vouée à la pêche, à la cueillette et au désintérêt d'un colonisateur lointain. En 1975, Mayotte choisit la France contre les Comores. C'est le début du malentendu. Tous les confettis de l'empire se sont construits contre Paris. Mais ici, pas de Césaire ou de Fanon. La colonie, c'est la liberté ! Mayotte est un oxymore. Le statut de département, entériné en 2009, aura été la revendication unique des élus."Du coup, on a négligé tout le reste", constate Thani. La France n'a pas mis l'île au niveau de son rêve. L'Etat a ouvert des écoles, des collèges, un hôpital. Insuffisamment. Un architecte idéaliste, Vincent Liétard, a quadrillé l'île de cases en dur, les "maisons SIM", et inventé un personnage de BD, Bao, petit Mahorais philosophe face au chaos quotidien. Mayotte a été une épopée ; mais les pionniers étaient blancs.
Junk food. En 1980, un voilier aborde l'île. A bord, Lukas et Ida Nel, deux Sud-Africains de 24 ans. Ils ont fait fortune dans des vidéo-clubs. Mayotte doit compter 50 000 habitants, 50 Européens peut-être. Les Nel importent des vivres ; ils ont branché un congélateur sur le générateur d'un notable local."On n'avait pas de téléphone ; Lukas faisait décoller son avion pour passer ses commandes par radio." Un jour, Ida trouve l'idée : "Un plat facile à partager ; à l'époque, les Mahorais mangeaient en famille dans une assiette commune." Ainsi naissent les mabawas, des ailes de poulet à frire ; elles deviennent l'aliment fétiche du Mahorais, pour lequel l'île s'est révoltée en 2011. Les cueilleurs de bananes et pêcheurs sont devenus carnivores de junk food.
"Le mabawa, c'est la partie la plus grasse, la plus dégueulasse du poulet, rage Faouzia Cordjee.Ida Nel s'est enrichie sur notre santé. Elle a amené la bière et l'alcoolisme ; avant, on buvait en cachette du vin de palme ! " Ida, veuve, millionnaire et prométhéenne, se demande pourquoi Faouzia lui en veut."Faire du commerce, c'est mal ? Les Mahorais veulent être fonctionnaires ou assistés. Avec Lukas, on a pris nos risques."
Ainsi est née Mayotte l'hybride. Française mais aliénée. Pas d'économie réelle mais des emplois politiques, ou une débrouille gênée par les nouveaux règlements. Les Mahorais, qui construisent leurs maisons selon des droits coutumiers, apprennent le cadastre et vont découvrir les joies des impôts locaux. La terre, parie-t-on, sera la prochaine cause de révolte. L'arrivée de la Sécurité sociale a exclu de la santé la foule des sans-papiers, qui se presse aux consultations de Médecins du monde.
L'inégalité ravage tout. Les Blancs, les m'zungus, en haut du pavé : toubibs, fonctionnaires, qui doublent leur salaire métropolitain. Ensuite, des Mahorais propriétaires ou salariés, émargeant à la modernité. Puis les Mahorais de l'assistance. Puis les illégaux. Les strates sont - parfois - traversées de solidarités de pauvres. A Majicavo-Koropa, Ibrahim, policier municipal, a des voisins sans-papiers ; il a épousé une illégale, il a ramassé sur des plages des immigrants noyés ; il répugne à chasser le Comorien."Tout le monde vit mal et je ne suis pas heureux ; je ne peux rien donner à mes enfants."
Rappeur. La télévision apporte l'écho d'un monde inatteignable. Le cinéma de l'île est fermé : le conseil général, propriétaire, ne pouvait plus payer les films ! La crise est identitaire. Faux département, fausse colonie, coupée de ses voisins. Les jeunes s'ennuient et rêvent. Dans le nord, au bord d'une plage de paradis, Kamil, dit Daddy Faya, fringué stylé au fond de la brousse, fait du raggamuffin sur des ordinateurs essoufflés dans son banga, sa case de terre. Sa maman le nourrit, qui vit d'allocs et de gardes d'enfants. Ses clips passent sur Kwezi, la chaîne branchée. Il ira à Limoges, peut-être,"pour découvrir qui je suis". Il y connaît des gens."Ça ressemble à quoi, Limoges ?"
Kamil rêve de France ; d'autres font le chemin à l'envers. A M'tsaméré, près de Mamoudzou, un jeune homme de 25 ans tisse sa culture hybride. Bo-Houss, fils d'un prof d'arabe et de Coran, a étudié en métropole, avant de revenir. Il est vedette du rap mahorais, qu'il psalmodie en ténor des îles. Crâne rasé, lunettes teintées, Bo-Houss fait beau gosse de métropole, mais ne pense qu'à conjuguer ses racines."Je suis d'ici, dit-il, embrassant la mer et la vieille mosquée.Et je parle de notre vie ; nos jeunes, qui veulent être inscrits dans le monde." Il chante une "mahoraise" sur l'air de Rouget de Lisle ; il remercie Allah et son père rétif au rap."Je me sens chez moi aux Comores, à la Réunion, à Madagascar. Les immigrés qu'on expulse, ce sont nos copains." Bo-Houss a été invité aux Francofolies de La Rochelle. On lui demande s'il est français."C'est une bonne question", dit-il, puis se tait. Mayotte commence peut-être avec son silence
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Une classe sans envergure et sans ambition,je rajouterai aussi qu'ils sont plus que médiocre.